• Benjamin Stora, à Liberté :“Le système colonial est condamné par l’Histoire”

     

    Liberté : Vous êtes un spécialiste de la mémoire, pensez-vous que l’on puisse faire un véritable travail de mémoire entre l’Algérie et la France pour dépasser le tumulte que connaissent les deux pays ?

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    Benjamin Stora : François Hollande m’a demandé de l’accompagner ; j’avais été très favorablement impressionné par son livre le Devoir de vérité où, en particulier, il mentionnait cette rupture de la position du Parti socialiste par rapport à son histoire, entre guillemets, algérienne. Ça m’avait semblé important d’accepter son invitation et d’être à Alger. ça fait 30 ans que je travaille avec ces histoires de rapprochement franco-algérien, et au moment où ça peut effectivement faire avancer, débloquer sur le plan de l’histoire, je devais être là en ce moment particulier. Sur la question de mémoire, c’est très compliqué. ça fait très longtemps que j’explique que la société française n’a pas véritablement regardé en face son histoire coloniale. Il y a tout un travail très compliqué et difficile en France où, dans les faits, les élites et les intellectuels ce n’est que seulement maintenant, un demi-siècle après l’indépendance de l’Algérie, qu’ils essayent d’expliquer dans le fond que l’entreprise coloniale tournait au bénéfice d’une poignée de privilégiés. Mais ceci dit, cet examen de la conscience coloniale n’a pas été fait en France, c’est seulement maintenant que ça commence.

    Et la polémique déclenchée par la loi du 23 février ?
    Un des mérites, entre guillemets, du débat sur la loi du 23 février est précisément de mettre cela sur le tapis. C’est de dire que vous avez voulu voter une loi sur la colonisation positive, discutons de ces questions et de la conquête coloniale, discutons des massacres, des crimes de guerre, discutons ensuite de l’installation de l’Algérie française, de la guerre d’Algérie. ça veut dire que ce débat dans le fond en France a commencé très récemment en dépit du travail des historiens qui existe depuis longtemps. Mais au niveau des élites politiques, culturelles et intellectuelles, ça commence maintenant. Il y a un retard très important.

    La loi du 23 février a permis en quelque sorte de déplacer le débat sur le colonialisme de la sphère des élites et des historiens vers la scène publique. ça a l’avantage de faire avancer le débat, selon vous...
    C’est très important. ça a l’avantage de sortir de la sphère académique parce que, personnellement, j’ai commencé à travailler sur ce sujet depuis 1975, et nous sommes en 2006. Il y avait une sorte de huis clos dans les réflexions des historiens français, Charles Robert Ageron, Jacques Berque, jusqu’à la nouvelle génération, il y avait une sorte d’espace très limité. Là au moins on a une diffusion du savoir académique qui vient se diffuser dans l’espace public et l’espace intellectuel qui est très important. Il y a plusieurs risques. D’abord, le retard qui a été pris depuis 40 ans risque de provoquer des durcissements de tous les côtés. C'est-à-dire que tous les groupes de mémoire, comme ce travail de deuil de l’Algérie française n’a pas été fait, il y a un réveil de la mémoire de revanche, de ceux qui sont crispés et de ceux qui ne veulent pas faire ce travail de deuil. Mais il y a aussi ceux qui veulent rejouer la guerre en portant les habits des indigènes. Cela est le produit du retard, c'est-à-dire que tous les acteurs ont l’impression de ne jamais avoir été entendus. Ces acteurs reviennent en fait avec les vêtements du passé. Or, aujourd’hui, si l’on veut discuter de ces questions, c’est justement pour affronter l’avenir, ce n’est pas pour rejouer le passé. Le système colonial est mort et l’Algérie est un pays indépendant. La question centrale est d’accepter ce principe de l’indépendance, c’est fondamental ! Tout comme il est fondamental d’accepter l’existence d’un État algérien et de faire en sorte, une fois qu’on a accepté ce principe et que le système colonial est condamné par l’histoire, c’est de construire et de bâtir, c’est de réconcilier et d’avancer. Mais faut-il encore que le travail de deuil de l’Algérie française soit fait. Ce travail, c’est pour en finir avec cette période et tourner la page.

    Que devrait faire l’État français pour faire le deuil de l’Algérie française ?
    Jacques Chirac, qui est le représentant de l’État, avait prononcé un discours en 2005 sur le massacre de Madagascar en 1945 où il reconnaissait la responsabilité de l’État français sur Madagascar ; on pensait qu’il y aurait un équivalent sur le côté algérien par rapport aux massacres coloniaux. Il n’y a pas eu cette équivalence.

    Mais pourquoi n’y a-t-il pas eu cet équivalent ?
    Parce qu’il y a des groupes de mémoire en France qui n’acceptent pas le principe de l’histoire accomplie, c'est-à-dire l’indépendance de l’Algérie, qui sont en train de recommencer la guerre, l’indépendance. Ce sont des groupes qui existent dans la société française.

    (Article : Liberte-algerie.com)


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